Et tout recommencera - chapitre 3


Chapitre 3 : Mais combien de temps ça dure, ''maintenant''?





«Tu m'as fais tellement peur ! Tu ne pouvais pas faire attention ??


Je voudrais y retourner, retourner dans ce monde noir, où enfin je serais seule. Et puis, pourquoi pas ? y rester. Pour la vie, pour l'éternité.
Trop facile.


-Il faudra vraiment que tu remercies ton professeur, il a été très bien. C'est lui qui a appelé l'hôpital et lui aussi qui m'a contacté tu sais ! Monsieur... Monsieur quoi déjà ? Da... Da quelque chose... Je vais retrouver son nom, ne t'inquiète pas...


Trop facile.
Des fois, il faudrait pouvoir abandonner. Laisser tout, oublier. Mais non. On ne peut pas.
Je repensais à cet accident. Et je me disais que j'aurai aussi bien pu y laisser ma peau, avoir maintenant les yeux fermés, pour ne jamais les rouvrir. J'aurais pu... Et déjà, je voyais le cimetière, le cercueil, l'inscription dorée : « Mélancolia Lisallia _ 1997-2014 ». Un peu court. Il y aurait eu des larmes, sûrement. Des condoléances. De vieilles connaissances, oubliées à présent. Peut-être des élèves de ma classe, par principe, la mine crispée. Et mon corps serait froid. Pas beau à voir. Abimé. Caché dans le cercueil, de toute façon. Et puis dans la terre... Disparaître, là dessous... Ne plus être vue, plus entendue, plus rien... Mais si seule...


Et M. Dasiny ? Qui l'aurait mis au courant ? Aurait-il vu l'accident, comme il l'avait vu ? Quelle horreur cela devait être...


Il fallait... Le remercier, c'est cela ? Surtout lui dire quelque chose, n'importe quoi. Ça ne devait pas être agréable, de voir quelqu'un qu'on connaît décoller involontairement, en pleine rue. Je n'avais pas vu de sang. En avait-il vu, lui, de mon sang ?


Morte. J'aurais pu, maintenant. Pour toujours. Jamais. Quels beaux mots. L'infini.


Seulement, j'ai 17 ans. Et ce n'est pas un bon âge pour l'infini.


Qu'est-ce qui me retiendrait pourtant ? Qui ? Les gens ? Ces gens avec leur gueules d'enterrement toute prête, sur mesure, qui viendraient selon un bête principe inculqué me parler, me faire des discours ? Pas ma mère, pourtant. Si ? Ma mère... Si je mourrais ; seule. Mais elle l'est déjà ! Elle ne peut pas être plus seule que ça, elle a déjà tout perdu, c'est une famille entière ou rien, qu'il lui faut ! Moi, sans mon père, c'est comme si je n'étais pas là, comme si je ne valais rien.


Alors il faut vivre ? Pourquoi ? Pour moi ? Moi seulement ?
Ou par fatigue ? Pour ne pas avoir à se donner la peine de se laisser mourir ?


Mais il y a un tel potentiel de vie, quand on a 17 ans... Une telle infinité devant soi, rivalisant, presque, avec cette infini, ce toujours, ce jamais de la mort...


Et au delà de l'infini... Rien. Plus rien... Aucune raison de penser à ce là-bas.


Penser à maintenant. Rentrer à la maison – quelle maison ? Parler à M. Dasiny. Des objectifs simples, des devoirs, qu'il faut accomplir.


***




Et pourtant, quand les jours passent, tout ce qui était simple devient soudainement impossible, et on se rend alors compte que depuis longtemps déjà, c'était le cas. Impossible. Pourquoi ?


Parce que le temps passe, le temps a passé. J'ai mal, à mon passé, mal, à mon futur. Un poids qui pèse tout à coup sur moi, l'impression que tout est fini, alors même que rien n'a encore vraiment commencé. Et je ne comprends pas.
Perdue dans la vie, ou plutôt perdue face à moi-même.
Il faut donc se reprendre, se relever, et se battre ?


Mais je découvre enfin cette douleur, au fond de moi, enfin je vois le déchirement qui s'est fait.


Vivre. Ce n'est pas facile. Vivre. Se supporter. Et s'encourager... Est-ce possible ? Est-il possible de se soutenir, quand on a abandonné tout espoir en soi-même, quand c'est de soi-même que plus rien n'est attendu, quand c'est sa propre vie qu'on renie ?


Et alors je me sens vieille. Terriblement vieille. Et... Vidée.


Mais... Et les objectifs simples ?
Ils sont là, la dernière accroche. Une dernière chose que je pourrais faire. Avant de m'abandonner à jamais. Parler à M. Dasiny. Merci.


Oui. Il faut donc y aller, se décider, et faire.


***




«Monsieur.


Est-ce bien ma voix ? Je crois. Je ne sais plus.


-Oui ? ... Ah ! Mélancolia !



-...



Pourquoi suis-je ici ? Que fais-je ? Qui est cet homme ? ...Ah. Ces yeux. J'y suis.


-Ça va ? Tu as des séquelles depuis l'accident ? Je ne t'ai plus revu ! Tout va bien ?


Il s'inquiète... Pourquoi ? Pour moi ? Heh...


-Mélancolia ?


Ah. C'est vrai. Simple. Merci.


-...ci.



-Quoi ?



-...Merci.


Il me regarde. Marron, chocolat, chauds.


-Il n'y a pas de quoi.



Haha. Et bien voilà, rien de compliqué. C'est fini, je peux partir.
Alors je tourne les talons, je lui tourne le dos. Je m'en vais. Où ?


-Mélancolia !


Hein ?


-Si tu veux de l'aide, n'hésite jamais à venir la demander !»



Hein ? Mes pieds se sont arrêtés, ma tête s'est tournée, nos yeux se sont croisés. Encore. Chocolat.
Un sourire. C'est si simple... Et maintenant, je peux m'en aller. Cœur léger.




***


Les jours encore sont passés ; je suis repartie, dans l'infini de mes dix-sept ans. Parce que tout était possible.


Le soir tombait... Je m'asseyais, face à mon bureau, dans ma chambre, à la lumière d'une petite lampe de chevet qui redonnait des dimensions à la pièce, par toutes les ombres qu'elle créait ; et je prenais un crayon, et j'écrivais.


Combien de temps ca dure, ''maintenant''?


Maman, j'ai faim. Mais tu n'as pas soif. Dormir ? Non,
il faut que les arbres poussent, les nuages nagent dans le ciel.
C'est la nuit. Elle a froid... Mais non... Il fait beau. Car le feu vit...


Maman, j'ai faim. De quoi ? Je ne sais pas. La vie...
C'est long. C'est court... Je ne sais plus. Le ciel est grand.
Le ciel est redevenu bleu. Je n'ai plus sommeil. J'ai faim...


Je n'étais pas folle, je vidais simplement des mots sur le papier. Sans leur accorder grand sens. Et pourtant...
Pourtant, des mots jetés d'un esprit sur le papier ont souvent plus de sens que ce qu'on a pensé leur donner. Il faut que je me réveille, que j'avance, que je pense. Viser mon futur avant de viser l'infini.

...

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