Et tout recommencera - chapitre 1




Chapitre 1 : Il était une fois...




«Mélancolia! Dépêche-toi, c'est l'heure de se réveiller !



Putain de prénom. Tous les matins, toute la journée, tous les jours. Ce prénom à emballer des papillotes qui résonne autour de moi, qui me suis et me colle à la peau.



-Mmh... Oui maman... J'arriive...
-Dépêche-toi, voyons ! Tu es en retard.
-Gniourf !»



Je jaillis hors des couvertures. En retard ?... Oh noon, pas déjà... En retard au premier cours de l'année. Je sens d'avance que tout le monde va bien rigoler...



«Tu pouvais pas me réveiller plus tôt ?
-Désolée ma chérie, j'avais oublié que tu commençais aujourd'hui.
-Pfouh.»



Je n'ajoute rien. Pas besoin d'en rajouter. Et on sait toutes les deux pourquoi nous avons arrêter nos longues discussions, pourquoi nous n'arrivons même plus à nous disputer.
Je fonce prendre des habits en hâte dans mon placard. Avec un peu de chance, je peux encore arriver à temps... À peine enfilées les manches d'un haut ramassé au hasard, je file à grandes enjambées jusqu'à la porte de l'appartement en empoignant mon sac au passage, j'ouvre et je claque la porte, pour ensuite courir, courir et essayer d'attraper le bus.



Premiers mètres franchis vers cette nouvelle année scolaire qui promet déjà d'être... palpitante. Soudain, mon regard capte la forme colorée du bus près de l'arrêt. Wow, juste à temps, on peut dire ! Et j'accélère, les semelles de mes sandales noires frappant anxieusement les pavés. Je suis sûre que le chauffeur m'a vu, il va s'arrêter, rester encore un instant, le temps que j'arrive... à le rattraper... à monter... Le bus est parti. Sans moi.



Enjoy.


...
Un peu plus d'une demi-heure plus tard, mes pieds m'entraînent d'un rythme saccadé à travers les couloirs vides du lycée. J'arrive enfin devant la porte de la salle qu'on m'a indiquée. J'entends des rires perçants dans ma tête ; ceux qui m'ont accueilli à la loge, ceux qui m’accueilleront quand je pousserai cette porte. Je ne sais même pas quel prof sera dans la salle, mais je sais que je serai fichée pour le restant de l'année avec lui. Je respire un bon coup, je passe une main dans mes cheveux. Pour cette épreuve, je suis seule. Lever la main. Frapper de l'index sur la porte bleu-gris. Descendre les doigts jusqu'à la poignée gris sale. Enclencher cette poignée. Pousser la porte et entendre son grincement, et le silence de l'autre côté, silence de la salle qui retient son souffle pour voir qui va rentrer. Faire un pas en avant. En avant. Courage. Entrer...
C'est ce que je fais. J'avance un pied dans la salle, jette un regard à gauche, un regard à droite.
Coupable.
Les rires résonnent dans ma tête.
Perforent mon cerveau.
N'existent-ils donc que dans ce cerveau malade?



...

Je m’assoies sur les planches de bois d'un banc et pose lourdement mon sac bourré de mes nouveaux livres pour l'année à côté de moi, dans un soupir bruyant. Ça commence bien, tiens !... Les yeux fixés sur le sable du parc, à mes pieds, je pense à ces petits grains, tellement insignifiants pour nous, piétinés à longueur de journée. Quel destin que le leur ! Mais en vérité, je le sais bien, à quoi je pense. À quoi je pense en permanence, depuis cet instant, si bien qu'une bonne moitié de mon cerveau n'est désormais employée qu'à y penser. Je ne sais plus exactement ce qui se passe autour de moi. Et de toutes façons, est-ce vraiment important ?



Je ne l'ai pas vu arriver. Un jeune homme, peut-être plus de vingt ans. Une ombre qui assombrit mes grains de sable, un poids qui alourdit encore la charge du banc. Une voix.



«-Tu ne rentres pas chez toi ?



Je devine ses yeux posés sur mon sac. Je ne réponds pas. Il va me prendre pour une sourde ou une idiote. Au choix.
Un petit ton moqueur.



-Je ne savais pas que la rentrée pouvait rendre si sombre.



Je tourne lentement la tête vers lui. Je crois que la vision qu'il a eu de moi a ce moment-là devait faire peur. Un regard noir chargé de messages clairs concernant mes envies et sa mort, des yeux cernés d'un violet noir, un visage pâle, et le coin des lèvres tourné vers le bas dans une courbe qui respirait la haine. J'ai croisé son regard, je l'ai vu reculer la tête et détourner les yeux. Je suis retournée à mes grains de sable. Puis je m'en suis voulu un petit peu. Sa phrase n'avait aucune mauvaise intention. Comment aurait-il pu deviner ? Comment savoir ... ? Et puis en prenant en compte la proximité du lycée, il était possible que j'ai affaire à lui dans le futur.



-Tu es au lycée Victor Hugo ?



-C'est possible.



-Je ne t'avais jamais vu avant.



-Probable.



-Et des fois ça t'arrive de répondre clairement ?



J'entends le sourire dans sa question.



-Je ne sais pas.



-Je vois...



Silence.



-Tu es en quelle classe ?



Ce tutoiement dans ses questions me fait bizarre.



-Terminale.



Je comprends qu'il hoche la tête. Il se lève, fait deux pas.



-Tu devrais penser à rentrer chez toi, tout de même.»
Je relève la tête. Peut-être mon regard est-il moins morne que d'habitude. Il n'a en tout cas rien à voir avec le seul autre que ce type aie déjà vu. Pour la seconde fois, nos yeux se croisent. Il sourit. Il s'en va. Je le suis des yeux, lorsque qu'il évite une feuille morte pour ne pas l'écraser, lorsqu'il pousse la grille du square, jusqu'au moment où il disparaît entre deux immeubles. Il ne m'est même pas venu à l'idée qu'il aurait pu jeter un regard en arrière. À mon tour, je me lève.



Je ne sais pas ce qui m'a pris de répondre à toutes les questions de ce type.



***



Le ciel est noir, derrière les carreaux clairs. Pas d'étoiles, cette nuit non plus. Pas d'avion.
Penchée sur la petite table de bois qui me sert de bureau, éclairée par la chaude lueur de ma lampe violette, j'essaye de dessiner le type. Sous mes doigts, petit à petit, une ébauche apparaît. Ses cheveux bruns, légèrement en bataille, ses yeux foncés, presque noirs, ses épaules, qui sans être fines, ne sont pas larges. Mais le croquis est flou. Je ne le regardais pas. Ses yeux m'ont frappé, et sont enregistrés dans ma mémoire, avec ses cheveux et sa silhouette. Mais le reste, si les traits ne sont pas évasifs et discrets, est imaginaire. Je soupire, repousse la feuille et le crayon, la chaise aussi, dans un même mouvement, et je m'accoude à la fenêtre, un instant. Quel drôle d'individu ! J'ai beau sonder, je ne trouve que de la curiosité pour lui. Pas d’intérêt, pas de haine, pas d'amitié ou même de compassion. Qu'est-ce qui lui a pris de venir s'asseoir là et de me parler ? Pourquoi ? De nouveau, un soupir passe mes lèvres. Je ferme la fenêtre et me glisse sous la couette.



***



Le lendemain, dans la lumière d'une petite lampe de chevet, j'ai enfilé des habits de façons aussi négligée que d'habitude, et je jette un oeil à mon emploi du temps.
Maths, Français, histoire. Deux heures pour les premiers, seulement une pour l'histoire... Pfouh, encore heureux... Fut un temps, je crois, j'aimais bien ça, l'histoire... Je n'en pense plus rien. Je n'aime plus rien. ...On est mercredi ; l'après-midi est libre. Bon. Plus qu'à ne pas arriver en retard... Parce que les deux premiers jours de l'année, avec la même prof, ça le fait mal. Oui, c'est ma charmante professeur de Français qui m'a accueilli d'une façon terriblement agréable le premier jour... Je sens que je vais bien m'amuser, cette année... Une amitié si extraordinaire avec élèves et professeurs...
Mais et alors? Est-ce si important ?



Dans le bus, je pense à mes grains de sable. Naturellement s'ensuivent d'autres réflexions. Quel drôle de type, tout de même. Que je ne reverrai probablement jamais, d'ailleurs... Peut-être qu'il est en prépas ? Dans une école de médecine ? Ou alors il travaille déjà...



La matinée se déroule, écrasante, je la sens petit à petit s'étaler de tout son poids sur moi. Deux heures d'affilée... Français, et encore deux de maths... Ce serait de la torture avec des profs pareils, si j'essayais d'être plus présente. Mais avec une moitié de cerveau dans un autre monde, quelle importance accorder aux clowns du monde réel ?



Au milieu d'une foule d'autres élèves, affamés et le montrant, je me laisse emporter par le flot, en essayant tout de même de rester dans la bonne direction. En gros, se mettre dans les bons courants. Ballotée, bousculée de tous côtés par cette meute rendue sauvage au milieu de ce couloir trop étroit pour une telle zone de passage, je me laisse porter, consciente que je ne suis pas la seule là-dedans à me laisser emmener. Peu à peu, le couloir s'éclaircit. La suite de deux effets : le « tournant terrible » de ce lycée a été dépassé ; et beaucoup d'élèves sont déjà rentrés dans leur salle. On a beau changer de lycée, de ville même, il y a des choses qui ne changent pas.
Enfin il vaudrait mieux que j'arrive à ma salle à moi avec le moins de retard possible. Je ne sais même pas de laquelle il s'agit... Je sors mon emploi du temps.
«LH128 _ HISTOIRE-GÉO _ DASINY»
Chouette alors. Mme Dasiny ? M. Dasiny ? Lequel sonne le mieux ? Pff... Je lève les yeux pour chercher le numéro de la salle devant laquelle je me trouve. Il n'y a plus qu'un ou deux élèves qui déambulent d'un pas traînant entre les murs et les fenêtres. Morne paysage.
«LH116». Mmh. Je ne dois pas être loin. Le tintement faussement musical de cette sonnerie à rendre fou me fait froncer le nez. Et bien ça y est, encore en retard... Je longe le couloir, porte après porte.
«LH120»... «LH127»... «LH128».
Je stoppe devant la porte. Gris bleu, comme celle d'hier. Devant laquelle je m'étais aussi arrêtée, dans la même situation. Peut-être que je finirai pas être habituée ? On s'habitue à tout.
Je frappe, j'enclenche la poignée, je pousse la porte, je fais les deux pas en avant,... Et je reste figée un instant dans l'embrasure de la porte.
Derrière le bureau, le regard sévère de M. Dasiny est fixé dans mes deux yeux à moi. Une seconde, un instant. Je me reprend.



«Bonjour, excusez-moi de mon retard»



La formule habituelle une fois marmonnée, yeux baissés, je rentre dans l'allée de tables, jusqu'au fond, je m'assois à l'une des deux dernières places libres. La deuxième, c'est celle à côté de laquelle je suis. Isolée dans ma bulle, dans mes pensées. Je ne relève pas les yeux vers le bureau. Vers les yeux du type au parc. L'heure s'écoule. Je ne suis pas là, je pense. Mon professeur d'histoire, hein ?...
La sonnerie retentit de nouveau. Déjà une heure ?
Je me lève, ramasse mon sac, y range mon classeur, tranquillement, sans hâte, tandis qu'une salle entière se rue sur la porte. D'où l’intérêt de se mettre au fond, dans les cours avant le repas.



Je sors parmi les derniers élèves. Les yeux dans le vague. Je dors debout, comme toujours. Et lorsque j'entends mon prénom, je me mets machinalement sur le côté, et me retourne pour faire face à l'auteur de cette interpellation. La seconde d'après, je suis seule avec M.Dasiny dans la salle.



«Dis-moi Mélancolia, ça t'embêterai de me prêter ton classeur de cours ?



Le charme de la dernière fois au parc est brisé. Ce n'est plus un inconnu auquel on s'amuse à répondre à toutes les questions. Dont on est persuadée que lui raconter toute une vie n'importerait pas, puisqu'on ne le reverra jamais. C'est un prof, je suis l'élève. Et ma taille et l'estrade ne peuvent que renforcer cette impression.
Il n'attend pas ma réponse et se sert dans mon sac en bandoulière ouvert, avec un « merci » souriant.



Je détourne les yeux, tandis qu'il ouvre le-dit classeur sur la seule feuille non vierge qu'il contienne. Dans la limite de mon champs de vision, je vois sa grimace. Et c'est d'un ton plus froid qu'il reprend :



«Et alors?... Tu m'expliques en quoi ça va t'aider à te rappeler ce qu'on a fait pendant l'heure?... Non mais franchement, qu'est-ce que c'est que ça?!»



Et il tourne la feuille vers moi. Les yeux fixés dessus, je ne la regarde pas, je sais parfaitement ce qu'il y a dessus puisque c'est moi qui l'ai dessiné. Lui, me regarde, un sourcil levé, l'autre froncé... c'en serait presque comique. Ses yeux bruns me dévisagent comme si un phénomène unique se trouvait devant ses yeux... et pas exactement dans le bon sens du terme. Je consens alors à regarder vraiment les flammes, l'enfant, le cadavre, les débris et la ville vue de haut qui s'étale sur la feuille quadrillée. Puis je lève les yeux vers les siens, tranquillement, dans un défi. Oui, j'ai dessiné pendant son cours. Et après? Qu'est-ce que ça changerait si j'avais fait autre chose? De toute façon, ce n'est pas comme si j'aurais écouté. Mes yeux se plongent dans les siens.

On m'avait souvent parlé des miens et de l'impression qu'ils donnaient, océans bleus tourbillonnant, sous la tempête ou le ciel d'azur selon mon humeur et le temps. Mais c'est la première fois que je me sens moi-même comme emportée dans les yeux de quelqu'un d'autre, comme dans un tourbillon, couleur chocolat, infini. Je suis happée, emportée, ballotée. Progressivement, une pression, d'abord douce, semble s'appuyer sur moi, peser sur tout mon être, mes épaules, mes yeux, mon cerveau, puis ma volonté elle-même, mon passé, moi. Mes pensées tourbillonnent, rien n'a plus de sens.






Je détourne la tête.






Loin, très loin, M. Dasiny referme mon classeur, pose un polycopié du cours dessus, me tend le tout.



L'esprit embrumé, mécaniquement, je sors de la salle. Avec un goût amer dans la bouche et le cœur, qui n'avaient tous deux, depuis ce jour, presque plus rien ressenti.






Un goût de défaite.






***






Cette nuit-là, comme tant d'autres, fut agitée de rêves. Mais tout paraissait plus vrai, et plus réel, et je voyais comme j'aurais vu les yeux ouverts en plein jour, et rien de tout cela ne semblait vraiment être... un rêve. Du début jusqu'à la dernière seconde. Rien ne semblait imaginaire, ni le froid sur les rues, ni les énormes flocons de neige qui tombait sur Paris, ni les alignements tordu de boutiques et magasins illuminés, ni les rires et même les bribes de conversations captées ici et là.
Tout était réel cette nuit-là. Et je marchais d'un pas vif en riant sous la pluie de flocons. Luc laissa tout à coup apparaître sur son visage un sourire malicieux, et la première boule de neige s'écrasa dans un nuage cotonneux sur la capuche de Thomas. Un sentiment de bonheur et d'insouciance irradiait mes membres tel une vague chaude et rassurante, alors même que les cristaux blancs dansaient autour de moi.



«-Mélancoliaa, attentioon !



J'étais heureuse alors même que la moitié d'une tête de bonhomme de neige miniature explosait sur mon épaule et jusque dans mon cou.



-Olivier ! Tu vas me payer ça !
J'étais heureuse, alors même que nous achevions une bataille de boule de neige animée, soufflant tous des nuages de vapeur, trempés et essoufflés.



-Hey, les gens, il est déjà 18 heure 30, moi je vais devoir rentrer...
-Woaa, le temps est passé tellement vite...
-C'est sûr ! S'il neige encore, on se refait ça demain direct, hein ?
-Haha, oui, ne t'inquiète pas pour ça !


J'aimais beaucoup la neige. Et j'aimais beaucoup passer des après-midi entier avec mes amis.
Rentrer chez moi avec la perspective d'un bon chocolat fumant avant une douche chaude était, à vrai dire, tout aussi agréable.


-Léa ! On y va ?
-Ouii ! À demain tout le monde...»


Nous discutions en marchant, savourant le crissement de nos pieds sur la neige, qui avait cessé son ballet aérien, laissant comme une immense nappe blanche et immaculée sur les rues. Je quittais ma camarade de classe en arrivant devant chez elle un sourire aux lèvres, continuant mon chemin sur quelques mètres encore, avant de pousser la porte de mon propre immeuble.


La neige avait littéralement transformé la cour. Tout était blanc, sous l'éclairage orangé des lumières s'alignant sur chacun des bâtiments. Dans le silence parfait, je pouvais même entendre mon pas sur la couche de neige.
Mais, déjà dans la cage d'escalier, voilà qu'il faisait un peu moins froid. Et, encore une fois, des images alléchantes de tasses remplies du liquide brun et fumant assaillirent mon esprit tandis que je tournais la clef dans la serrure.
Je poussai enfin la porte et pénétrai dans l'appartement. Sombre et silencieux.
«Pfouh, maman doit être en train de faire tranquillement une petite sieste, à moi tout le chocolat chauud...» J’enlevai mon manteau et mon attirail au complet, gant dégoulinant, écharpe trempée, et autres, poursuivant mes réflexions. Je ris intérieurement à la recherche d'idées pour réveiller ma mère, pour finalement décider que les techniques habituelles sont encore les meilleures. Je m’avançai alors dans la salle à manger, le sourire aux lèvres.
Et c'est à cet instant qu'un bruit d'abord indistinct parvint enfin à mes oreilles. Je fronçai légèrement les sourcils. Des rires ? On riait sans moi ? Alors j’accélérais mon pas en direction du salon et des chambres.


Et l'identification des pleurs arriva à mon cerveau coïncidant avec l'arrivée de l'image de ma mère, assise sur le bord du canapé. Courbée. Le visage dans les mains et les cheveux devant celles-ci. Pleurant.
Mon cœur se crispa, mon cerveau s'arrêta brusquement sur cette image, désorienté.


Il me fallut un court espace de temps pour reprendre contrôle et me diriger d'un pas anxieux vers elle.


«-Maman, ça va ?


Je ne savais pas ce que je pouvais dire de plus. Je ne me souvenais pas avoir déjà vu ma mère pleurer, pas comme ça. Son visage rougi et inondé de larmes apparu lorsque ses mains s'écartèrent. J'étais en état de choc. J'ignorais que ma propre mère était capable de ressembler à ça.


-Guh... Mel... Mélancolia...
-Oui ? Je suis là.


Elle avait achevé de prononcer mon prénom dans une avalanche de sanglot. Je ne comprenais pas. À vrai dire, je crois que je ne prenais pas vraiment ça au sérieux. Peut-être considérai-je même cela comme simplement ridicule.
J'étais debout devant elle, elle avait de nouveau caché son visage dans ses mains, tout le haut du corps secoué de spasmes.
Mon œil capta alors la présence d'une bouteille de verre à moitié cachée sous la table basse. Uh ?


Alors, ma mère s'arrêta soudain de bouger, les hoquets de tristesse disparurent d'un coup. Elle posa ses mains sur ses genoux, avec des mouvements de pantins, de poupées monstrueuses sorties tout droit de films d'horreurs. Sa tête se mit en mouvement, son visage remonta vers moi et apparut brusquement lorsque tout ses longs cheveux s'écartèrent en même temps.


Une seule seconde.


... Et je reculai dans un frisson horrifié.


Une seule seconde.


... Et son visage pâle, terni, aux teintes noircies.


Une seule seconde.


... Et ses yeux de morte, grands ouverts sur moi, sur le vide.


Une seconde.


... Et ces mots :


«Ton père. Son avion s'est écrasé. Il n'y a eu aucun survivant.»









Je me réveillai en sursaut. J'avais la gorge serrée, de la sueur semblait abonder, fuir de tout mon être, avec la chaleur de ma vie, mon cœur, comme s'il s'était arrêté et voulait rattraper son retard, battait à tout rompre, prêt à exploser.


«Ah... Ah... Ah...»


Et une larme, seule, unique, coula de mon œil écarquillé. Elle ouvrait la voie à toute l'eau de mon corps, comme l'eau d'un lac dont le barrage aurait volé en éclat.


Pourquoi ? Pourquoi ?!...


Et je m'effondrai en larmes, la tête dans l'oreiller.
Dehors, il se mit à pleuvoir averse.


Dans mes derniers restes de délires, je me levais, appelant dans mon cerveau dévasté. « Maman... Maman... » Je marchai, ne sentant même pas la froideur du carrelage sur mes pieds nus, attirée comme un insecte par la lumière dans la cuisine. Et je me suis arrêtée, comme tant de fois, sur le seuil de cette cuisine. Et elle ne m'a pas vu, comme tant de fois, tandis que moi, à travers mes larmes, je voyais la bouteille. La bouteille, les bouteilles... Quelle importance ? Et je retournai dans ma chambre, pour m'effondrer, avec, derrière l'appel vers la présence maternelle, plus profondément dans les méandres de mon âme, d'autres mots : «S'il vous plaît... Sauvez-moi...»


6h10. J'avais déjà eu largement assez de sommeil, il était temps de subir une autre journée de tranquillité avant la prochaine nuit.

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