Brume et folie
J'étais seul dans la lande. J'aimais ça, flâner tranquille, sans but précis,
avançant dans la bruyère. Cette fois-là, je marchais ainsi depuis des
heures, sans doute, mais j'avais perdu la notion du temps. Et c'est
alors que je remarquai, face à moi, une pierre à la forme étrange
évoquant les contours d'une tortue. Bien sûr, la chose m'a amusé et m'a
fait regretté de n'avoir pas mon appareil photo avec moi. Seulement, à
cet instant, je songeai que jamais encore je n'avais vu une pierre
pareille. Et vu sa taille, ça ne se ratait pas. Où donc étais-je?Je
jetai un œil autour de moi pour parvenir à me situer. Une vague
appréhension s'empara de moi. Aucun élément du paysage ne m'était
familier. Il ressemblait à n'importe quel autre lieu de la lande, sans
aucun moyen pour moi de retrouver mon chemin. Mon inquiétude grandit
encore, et je balayai des yeux le paysage sans parvenir plus à m'y
retrouver. Mais en fait, par où donc, diable, par où donc étais-je
arrivé? Je n'en avais plus la moindre idée. L'angoisse me saisit et je
me tournai de nouveau vers le rocher. Il me sembla avoir une nouvelle
forme, macabre, celle d'un immense crâne, posé au milieu de nulle part.
Cette vision m'affola, mon rythme cardiaque s'accéléra. Et lorsque
j'entendis au loin l'aboiement d'un chien, un chien au hurlement de
fantôme, emplit de désespoir, de désir de vengeance et de mort, de haine
farouche, mon cœur s'emballa. L'épouvante me gagna. Ce rocher qui
ressemblait de minutes en minutes plus à un crâne, cette brume soudaine
et imprévisible, ces aboiements étranges, n'étaient-ce pas des signes
prémonitoires? Ne signifiaient-ils pas ma mort prochaine, peut-être?
J'étais tout simplement horrifié. Que faire? Entendant un nouvel
aboiement, plus près, je me mis à courir à toutes jambes dans la
direction opposée. Je fuyais à perdre haleine, aussi vite que je le
pouvais, trébuchant dans le brouillard. Il me semblait désormais que le
monde entier se résumait à ça, courir dans les ajoncs et les rochers,
plongé dans une nappe blanche. Je me sentais poursuivi, pourchassé,
assailli, j'avais l'impression que cette course ne finirait jamais, que
mes poumons prenaient feu et allaient exploser. Et puis mon pied a buté
contre un obstacle plus gros que les autres, un rocher peut-être, et je
me suis étalé de tout mon long dans les ajoncs qui me transperçaient la
peau, avant d'entamer un rouler bouler vertigineux sur la pente couverte
d'épineux. Il me semblait que mes membres se détachaient, j'étais
horrifié de la tournure que prenaient les évènements. Un seul sentiment
dominait mon âme angoissée : la panique, totale. Soudain, je ne sentis
plus rien autour de moi, et je compris que mon corps chutait. J'avais
sans doute roulé jusqu'à la falaise et je n'avais à présent plus qu'à
espérer qu'il n'y avait pas trop de rochers en bas. La chute me semblait
interminable, on aurait dit qu'elle ne finirait jamais. J'avais
l'impression que mon cœur montait dans ma poitrine, que mes membres se
disloquaient, l'horreur me tenait. Enfin, le choc eut lieu. Mon corps
s'écrasa au pied de la falaise, l'eau s'engouffra en moi par la bouche,
par le nez, par les yeux, mes poumons s'en remplirent, je suffoquais et
j'avais l'envie de revoir ma maison, mes proches, mes amis, rien qu'une
fois. Alors il me sembla que mes poumons explosaient et mes membres se
fracassèrent avec un bruit horrible sur les rochers sous-marins. J'avais
la sinistre impression que mon corps se déchirait en deux, une douleur
insoutenable me submergea complètement. Puis, plus rien. Le vide total.
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