Chapitre 2 : La vie ne fait pas de cadeau
Assise devant mon bureau,
je regarde son portrait. À chaque fois que mon regard tombe quelque
part, je le découvre à nouveau. Cet homme qui semblait si
étrange... «En fait, c'est un vulgaire prof d'histoire, quoi, si
j'ai bien compris...» Mais il continue de m'intriguer. Il a déjà
réussi un premier exploit en réussissant à me rendre attentive au
monde qui m'entoure pendant une heure entière.
En effet, pour la
première fois depuis presque un an, j'ai suivi toute l'heure de son
cours le lendemain. Jusqu'à prendre des notes ! Une action dont
je n'avais pas même remarqué le moment où j'avais arrêter de
l'effectuer.
Est-ce que je serais capable de revenir à la vie ? Loin de ma ville, m'éloignant de lui au fur et à mesure, toujours plus près de la réalité présente ? Serais-je capable de retrouver le lycée, les profs, les potes, les contrôles, les fêtes, ma vie de lycéenne ?
Je
doute en tout cas que je pourrais retrouver une vie familiale
normale. Non. Impossible.
« Toulilulilut !
Toulilulilut ! Toulilulilut !»
Le
téléphone... Peut-être ma mère pour me dire qu'elle rentrera en
retard du boulot, ou même que je devrai manger seule, à cause d'une
réunion quelconque ?
«-Allô ?
-Allô ?
Mlle Vilucci ?
Une
voix d'homme que je ne connais pas. Et c'est moi qu'on demande, pas
ma mère. Il y a quelque chose qui cloche.
-Oui,
c'est moi.
Ma
voix est moins ferme que je ne le voudrais.
-J'ai
une mauvaise nouvelle à vous annoncer, mais ne vous inquiétez
surtout pas, nous gérons la situation.
Comment
ça, « nous gérons la situation » ? Quelle
situation ?
-Qu'est-ce
qu'il y a , qu'est-ce qui se passe ? Qui êtes-vous ?
-Votre
mère a eu un malaise. Elle est à l’hôpital. Elle va bien, ne
vous inquiétez pas, mais je crains qu'elle ne puisse rentrer chez
vous ce soir. Il semblerait qu'en l'absence de frères et sœurs,
ainsi que de votre père, vous soyez seule face à cette... Bref.
Nous avons trouvé
un taux d'alcoolémie trop élevé chez votre mère, qui semble être
la cause de ce... léger malaise.»
Et il
donna encore le numéro de téléphone de l'hôpital, si j'avais
besoin de rappeler. Il me répéta enfin qu'il ne fallait pas que je
m'inquiète. Qu'elle devrait être sur pied d'ici une semaine. Puis
il raccrocha. Un instant, je restais plantée là, à écouter le
« tût... tût... tût...» du téléphone vissé dans ma main.
Lentement, des sanglots remontèrent dans ma poitrine, puis me
secouèrent de frissons de haut en bas, et je m'écroulais en
pleurant dans le canapé derrière moi. Le téléphone frappa le
meuble dans un bruit sec. Je m'en fichais.
Bien
sûr, elle buvait. Et je le savais, moi... Depuis ce jour,
elle buvait, le soir, quand elle me croyait endormie. Elle voulait
m'épargner ça, que j'ai une chance de retrouver une vie
normale. Mais depuis le début, je le savais... Pourquoi ne lui avais-je pas parlé ? Il était très clair, avec tout ce que je
savais, qu'elle ne resterait pas qu'une seule semaine loin de l'appartement, à l'hôpital ou ailleurs.
Ils ne se permettrait pas de la laisser retourner à ses bouteilles
comme si de rien n'était.
Peu
à peu, mes larmes s'arrêtèrent de couler, et je me levais. Une
seule idée occupait à présent mon cerveau : sortir. Prendre
l'air, voir les gens insouciants dans la rue, marcher, ne plus penser
à rien, même plus à lui.
Mes pas m'entraînèrent
vers la porte de l'appartement. En un instant, me sembla-t-il,
je fut
dans la rue. Il faisait
presque nuit. Je ne savais
pas où j'allais,
les gens devenaient
rares, à cette heure-là.
Je n'avais encore jamais vu ces rues la nuit.
Lorsque je me retrouve devant les grilles du parc, je ne sais pas pourquoi je suis là. Enfin, en tout cas, depuis ici, je sais rentrer à l'appartement. Mes pieds au moins ne m'auront pas trahi. Je pousse la grille, écrase les grains de sable. Il n'y a personne. Je retrouve le banc d'il y a à peine quelques jours, je m'assois dessus dans un soupir. Je ne veux pas baisser les yeux, voir les grains de sable... Et puis lui... Mais mon regard finit tout de même par y échouer.
...
Lorsque
je me réveille brusquement, j'ai droit à cette seconde où on ne
sait plus tout ce qui s'est passé, on est bien, on a tout oublié,
comme si on venait de naître. Où suis-je ? Pourquoi y
suis-je ? Et puis tout revient. Un soupir passe mes lèvres. Il
me faut encore une seconde pour me rappeler ce qui m'a réveillé. Le
bruit de la grille du parc. Je relève brusquement la tête, soudain
méfiante. Il fait toujours nuit, je ne sais pas combien de temps
j'ai dormi, comme cela. J'ai mal au dos.
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